2014-08-18 17.39.41

La rupture pas conventionnelle

Mon travail ? C’est cool, ça fait 15 ans que je suis Responsable Administration des Ventes chez un éditeur de logiciel.

J’ai ma petite équipe qui ronronne : 4 cadres bilingues qui suivent les clients, de très gros budgets avec des enjeux financiers énormes. Et moi, l’allemande de service avec sa légendaire rigueur et son pragmatisme – et attention : « noussss afons les moyens de fous faire barrrrlééé » … qu’est-ce qu’on peut rire dans nos réunions hebdomadaires !

Au début c’était l’aventure, genre start-up. Il fallait recruter une équipe, acheter un logiciel pour suivre les contrats et la facturation, mettre en place des process. Ma recette : de la diplomatie, un peu de persuasion, de la transparence, une graine de ténacité, de la bonne humeur et de la persévérance pour toujours garder le cap !

La boite grandit, mon salaire augmente chaque année, la belle vie quoi ! Je peux acheter un appartement avec mon encore-mari, on élève nos deux enfants, ça fonctionne – je fonctionne.

Mon responsable est le fondateur de la boite, tout le monde se tutoie et quand un nouveau contrat arrive, c’est la fête ! Après, les choses se structurent tranquillement et je rejoins l’équipe commerciale dirigée par le DG. Il est sympa et ça me plait bien d’être avec les commerciaux : ils ont toujours un truc à raconter sur les clients, des anecdotes drôles : c’est cool la réunion commerciale !

Un nouveau projet ? Une nouvelle idée ? Je suis partante : allez, on s’y met tous ensemble et on y va : qui fait quoi ? le budget ? la timeline ? les équipes à inclure ? Ah j’adooooore quand ça bouge !

Et voilà arrive un nouveau DAF qui pense que mon équipe doit rejoindre urgemment le service Finance ! Ok ! Pourquoi pas ?! Une nouvelle aventure, un nouveau challenge et surtout ce Directeur, ah, je l’aime bien. Il sait réorganiser et mettre en place des process pragmatiques, toute la boite ne parle que de ses succès !

Les premières réunions avec mon nouveau boss : sympa, cool, on va enfin structurer ce qui ne fonctionne pas : ah oui, je suis enthousiaste, je m’y connais, j’ai des idées, je vois ce qui bloque. C’est super d’avoir un responsable qui va dans la même direction que moi ! J’en parle à tout le monde et tout le monde est content pour moi !

Il y a juste une chose : l’ancienne DAF est mise à l’écart, elle n’est pas très bien et je lui dis : laisse-toi faire, adapte-toi, il est génial ce type, il va nous faire avancer ! Quelle naïve j’étais ! Un beau jour, elle n’est plus là. Je me dis qu’elle n’avait pas saisie sa chance, dommage. Il me dit qu’elle ne savait malheureusement pas s’adapter au changement et il me demande ce que je pense de son départ et s’il avait bien fait de la faire partir. Je lui dis que ça me fait de la peine : on était une bonne équipe depuis des années. Il reste impassible avec un drôle de regard…

Les réunions avec toutes les équipes se passent toujours bien : il dit que je suis géniale, que je comprends tout, qu’il peut compter sur moi …. Hahaha !

En réunion en tête à tête, petit à petit ça se corse, il change de ton :  quand la porte est bien fermée il me lance : t’en es où ? mais tu ne comprends jamais rien ?  Je n’ai pas le temps, viens vite aux faits ! As-tu calculé le DCO ? Tout se chiffre ! Comment ça se fait que tu confondes DCO et ROI, tu n’es pas pro ! Pourquoi le client 355 n’a pas payé ?  … ça ne m’intéresse pas, qu’il n’a pas été livré ! Je veux des chiffres, des chiffres, arrête de me raconter ce qui s’est passé à la dernière réunion avec le client : tu as compris ?? Des chiffres !!! Tu n’es même pas capable de répondre à mes questions qui sont pourtant très claires ! … je craque, je pleure, les gens me voient à travers la vitre.

Et en introduction à la prochaine réunion, avec un sourire en coin : tu ne vas quand même pas pleurer à chaque réunion ?

Mince, qu’est-ce qui se passe ? Je n’y arrive plus, je doute de moi ! J’ai surmonté d’autres difficultés, c’est normal, il veut me bousculer un peu … Je peux prouver que je suis capable de réussir, j’ai toujours réussi !

Je le vois souvent à la machine à café avec une collègue de mon équipe. Curieusement, elle commence à mettre mes décisions en question, elle refuse d’exécuter certaines tâches, ouvertement en réunion devant toute l’équipe. J’entends dans les couloirs qu’il lui a proposé ma place, mais attention, c’est des rumeurs, c’est n’importe quoi. Je me sens prise en sandwich entre lui et mon équipe, sur le fil …

Il contacte les RH et je dois me faire coacher par la HRBP que j’apprécie beaucoup mais qui ne comprend pas la situation. Il a forcément raison, c’est mon boss.

Je comprends enfin ce qui se passe quand une collègue me dit : laisse-toi faire, adapte-toi, il est génial ce type, il va nous faire avancer … et le vent tourne définitivement quand j’entends dans des couloirs que je n’arrive pas à m’adapter au changement … !

Alors dans un élan de survie je crée une grande feuille sur laquelle je note tous les projets en cours et je la mets sur la cloison de mon bureau : c’est joyeux comme tableau, des post-it colorés partout ! Un jeu d’enfant … les gens qui passent la trouvent sympa !! Bravo, c’est bien, tu reprends ton destin en main !

Dans la dernière réunion avec les autres équipes, il ne me donne plus la parole : comme j’ai arrêté les réunions de face à face, il ne me parle plus. Je ne suis plus au courant de rien et il fait comme si je n’existais pas.

Je sors de la réunion, je suis en colère, comment faire pour avancer ? Devant mon écran je ne sais plus quoi faire. Je ne l’allume même pas, ça ne sert à rien, le noir total ! Je suis paralysée ! Je regarde mon tableau coloré et je suis perplexe, aucune idée !

Et tout d’un coup, un ÉNORME « boum » ! Tout le monde sursaute, et avec un grésillement inouï, mille petits éclats de verre tombent par terre, scotchés par des post-it colorés. Ma cloison a explosé – toute seule !

Je regarde les éclats de verre bien jolis, c’est fascinant … et je comprends que c’est fini. C’est la rupture. Je me lève, soulagée, et lentement je traverse l’open-space, la tête haute, tout le monde me regarde passer, et je suis sure qu’ils comprennent que je ne reviendrai pas.

Une réponse sur « Le harcèlement au travail »

  1. Ça me donne froid dans le dos mais ça me rappelle plusieurs événements personnels.
    Bravo pour la description de ce cycle infernal !
    Philippe B

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s