Lebenskünstler

Quand j’étais au lycée dans les années 80 dans mon Allemagne natale, on m’avait demandé le jour de notre orientation professionnelle ce que je voulais devenir. Quelle question !? Je voulais devenir … une femme heureuse !

Mais non, il fallait vraiment trouver un métier ! A part ne plus aller à l’école, je n’avais pas beaucoup d’idées.

Ah oui, je voulais devenir Bundeskanzlerin, chancelière de l’Allemagne ! Ça faisait rigoler tout le monde : mais c’est impossible ! Une femme à la tête de l’Allemagne ??? Franchement il ne faut pas rêver !! Bah, si : je n’aurai jamais cru que Angela Merkel allait prendre ma place !

En secret j’aurai voulu être une artiste : une chanteuse ou une comédienne ! J’ai participé à chaque pièce de théâtre qui était monté dans mon lycée et j’aimais être Maria Stuart, Mère Courage ou juste une folle-dingue dans une pièce moderne. Avec ça j’avais toujours ma guitare et je chantais, chantais, chantais !

Mais bon, mes parents m’ont vite fait comprendre qu’il fallait trouver un métier. Et encore : mon père insistait pour que j’aille jusqu’au bac ! Les pères des copines de mon village pensaient que ce n’était pas nécessaire : mais elle va se marier et avoir des enfants, ce n’est pas la peine, ça coute cher ! Ah oui, le machisme ambiant de l’époque – est-ce que ça a vraiment changé ?? Mon père, lui, était pour l’égalité entre filles et garçons, peut-être le premier féministe que j’ai rencontré, où le seul ??

Je n’avais pas beaucoup de choix de métiers dans mon village : secrétaire, coiffeuse, vendeuse ou institutrice, non ce n’était pas pour moi … Et j’ai trouvé une piste intéressante : journaliste, ça avait de l’allure ! Bonjour, je m’appelle Anna, je suis journaliste !!! Ah oui, ça me plaisait ! Bon, il y avait le journal local qui cherchait quelqu’un pour écrire des critiques de théâtre :  oui oui, je suis là, bien sûr, ça m’intéresse ! Bonjour les soirées à me taper une pièce pas drôle, rentrer à pas d’heure et écrire l’article (sans fautes bien sûr) avec une vieille machine à écrire qui vous donne des tendinites, et le déposer au petit matin au journal. Je ne dormais pas beaucoup à cette période. Mais j’avais mis le pied dedans, et après, j’avais le droit d’écrire d’autres articles : des réunions culturelles, des soirées diapositives de voyages très à la mode, ou une soirée d’information sur la Syrie – c’était mon premier article sérieux ! Carrément, j’allais devenir une journaliste politique !! Je me voyais déjà à la Süddeutsche Zeitung … bon arrête ma pauvre, t’es dans un journal local …

Bon bref, après mes débuts prometteurs, on me proposait une place de volontariat une fois le bac en poche, et me voilà heureuse : je vais pouvoir étudier le journalisme !!!

Un jour d’été, après mon bac, je suis seule à la maison avec ma grande sœur, nos parents sont partis quelques jours en vacances, je reçois la lettre qui tue ma carrière de journaliste dans l’œuf !

…. changement …. nous sommes désolés … finalement …. bla bla bla … on ne peut plus vous proposer un volontariat dans notre journal … bien cordialement …

hein ??? quoi ??? comment ??? ils avaient trouvé la bonne poire qui allait faire des articles que personne n’avait envie de faire et maintenant ils me laissaient tomber comme une patate chaude ??

Entre la poire et la patate, ce n’était pas glorieux !

Evidemment, j’ai compris après que c’était la cousine du cousin du rédacteur en chef qui avait piqué ma place ! Déjà à l’époque le networking était primordial ! Et mon réseau ? Bof, j’avais mon cousin charpentier ou ma tante agricultrice ou encore ma cousine qui s’était marié aux Etats Unis … bref, pas de piste sérieuse pour ma carrière de journaliste …

Quoi faire ? Pxxx de mxxx quoi faire ?

Une idée fait son chemin dans ma tête : Je vais m’inscrire à l’Université à Munich dans les matières utiles pour le journalisme et j’allais ensuite trouver un volontariat. Voilà les matières : sciences de la communication, sciences politiques et japonais : oui japonais, il fallait un truc exotique ! Bon je vous raconterai une autre fois ce que sont devenue mes études exotiques …

Et me voilà parti à Munich à 300 km de chez moi avec la voiture de mes parents : j’avais 18 ans !! Et ma sœur qui me traite de folle : mais ça va pas ! Tu vas casser la voiture, tu ne trouveras jamais un appartement à Munich, comment tu vas payer tout ça ? Tu vas dormir où ? Tu ne connais personne là-bas ! Plus j’entends ça, plus j’ai envie d’y aller !

Si si je connaissais quelqu’un là-bas : un vieux cousin de mon père qui travaillait chez Paulaner (haha, c’était cool le Oktoberfest avec les bières gratuites, mais ça c’est une autre histoire).

Pas de soucis sur l’autoroute, je conduis comme une pro et quand j’arrive en ville, je me gare et je demande la route … et où est-ce que je suis garée ??? En bas de l’immeuble du cousin ! C’est véridique ! C’est un signe du ciel ! Je suis au bon endroit ! Merci et bonjour Munich !

Je dors chez le cousin et le lendemain, je m’inscris à l’Université : oui oui les enfants, on pouvait s’inscrire tout simplement à l’Université en y allant ! Non, non pas d’internet, pas de portail, pas d’acte de naissance pour prouver qu’on est né (comment ça ? Je pourrais ne pas être née ?). Il fallait juste ma carte d’identité et le papier de mon bac ! Ludwig Maximilians Universität von München ! J’étais étudiante ! Hourra !

Je trouve un tableau avec des annonces de locations d’appartements et dans la journée je signe pour une chambre en colocation. Certes elle donne sur le périph et on ne s’entend pas parler quand on ouvre la fenêtre mais quelle importance ? J’avais trouvé mon nid douillet !

Je sais, vous êtes jaloux mes amis parisiens d’aujourd’hui : non, je n’avais pas de garantie parentale (ils n’étaient même pas au courant), je n’avais pas de CDI, je ne gagnais pas 4 fois le loyer, j’étais juste au bon endroit au bon moment, j’avais le montant de la caution et j’ai signé le bail ! C’est simple non ?

Je m’achète donc un joli classeur : j’adore toujours les jolis classeurs, je ne m’en lasse pas, et je mets mon bail et l’inscription à l’université dedans, je dis « tschüss » au cousin et je retourne dans mon village.

La voiture a survécu sans aucune égratignure, ouf ! Et quand mes parents reviennent de leurs vacances je leur mets mon joli classeur sous le nez et ils ne peuvent plus que dire : ok, vas-y, tente ta chance dans ce vaste monde hostile !

Voilà ce que j’ai fait.

Aujourd’hui je me rends compte que j’ai débuté à ce moment précis, ma carrière d’artiste, ma carrière de Lebenskünstler : l’artiste de la vie !

 

l’allemagne

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